Premiers frémissements d'automne, regardez les guêpes zonzonner au-dessus des pruneaux tombés de l'arbre. Bientôt le Jeûne et, pour les Vaudois, le traditionnel gâteau aux pruneaux (tartes au prunes bleues, pour les étrangers).
Le cinéma ne souscrit pas à cette tradition. Ce dont il raffole ces temps, c'est de la tarte aux pommes. Sous toutes ses formes.
Au festival du film d'animation d'Hiroshima, Isabelle Favez a remporté un Prix spécial pour un film qui annonce la couleur puisqu'il s'intitule simplement... Tarte aux pommes. Dans lequel le gâteau odorant est déposé quotidiennement par la boulangère sur le pas de porte du boucher, le commerçant vis-à-vis pour lelquel elle éprouve un tendre sentiment. Pas de chance, c'est le chien du chasseur qui tout les soirs croque l'odorante offrande. A cause de ce gourmand, l'union du croissant et de la saucisse ne pourra se consommer. Mais l'amour aura tout d même son mot à dire et tous auront une part de tarte.
L'univers d'Adam's Apples est incontestablement plus noir. Dans ce film consacrant définitivement la bizarrerie danoise telle que l'ont définie Lars Von Trier et ses épigones, à savoir un melting pot d'humour noir et d0'extase sulpicienne, Anders Thomas Jensen met en scène Adam, Ce nazillon pur jus est astreint à purger une peine d'intérêts généraux dans la paroisse d'Ivan. Ce pasteur, qui a la bonté aussi raide qu'un balai dans le cul, astreint à sa nouvelle ouaille une tâche susceptible de l'amener à résipiscence: soigner le pommier, cueillir les fruits et en confectionner une tarte aux pommes. Les corbeaux, les asticots, la foudre, toutes les forces du mal s'unissent pour détourner Adam le haineux de son graal pâtissier. Et pourtant, il réussit à s'acquitter de la mission qu'on lui a assignée. Certes, sa tarte est microscopique, mais dans la Jérusalem céleste, pour sûr qu'elle resplendit comme la plus vaste des auréoles… Ce film délectable a reçu l'autre jour en Finlande le Méliès d'or qui récompense le meilleur film fantastique en Europe pour l'année 2006,
Autre film distingué par le jury Méliès et, par ailleurs, récompensé par le Prix H.R. Giger "Narcisse" du meilleur film au NIFFF, c'est The Bothersome Man (Den Brysomme Mannen en v.o.), film islandais-norvégien de Jens Lien. Andreas est-il mort? Il se retrouve dans une ville qui nous rappelle que l'enfer c'est les autres, bien sûr, mais aussi le monde selon IKEA. En apparence, tout est bien. Le travail n'est pas pénible, les collègues pas antipathiques. Mais la cuisine est fade, l'alcool sans effet, le coït sans passion, les rues sans jeux d'enfants. Les habitants de cette cité lisse feuillettent des catalogues d'ameublement et consacrent toute leur énergie à la décoration intérieure. Dans ce monde aseptisé, toutefois, flottent un air lointain de violon, une rumeur marine, un écho de rires enfantin… Au fond d'une cave, Andreas et un autre asocial élargissent la brèche qu'ils ont découverte sur le mur. Ils creusent. Le boyau mènent à une cuisine comme il y en avait autrefois, peut-être dans Le Miroir de Tarkovsky, ou dans Fanny et Alexandre de Bergman… Avant d'être arraisonné par la police, Andreas a juste le temps de passer la main dans cet univers chaud et ensoleillé. Il ramène de cette incursion un morceau de tarte aux pommes, sortant du four, mise à refroidir, chaude et molle comme de l'or en fusion.
La tarte aux pommes… Elle brille comme le saint Graal dans l'imaginaire occidental. Elle est transmutation du fruit du péché en gourmandise déculpabilisée, chaude et sucrée comme le cœur de la pâtissière.
Pendant ce temps, les Américains emplissent de reptiles un vol long-courrier (Serpents dans l'Avion). Directement issus du Jardin originel (on précise qu'ils viennent du Proche-Orient, or les historiens situent l'Eden du côté de Bagdad), crotales et vipères sont tout à fait conscients des connotations sexuelles qu'ils véhiculent: ils frappent pour commencer le couple commettant le péché de chair dans les toilettes de l'appareil, ils traînent entre les jambes et les seins des passagères, ils mordent le pénis d'un monsieur… Franchement, mieux vaut une bonne tranche de tarte aux pommes...
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