A l’aube des Journées, de sa retraite genevoise et par le truchement du Temps, un dinosaure a poussé son mugissement épouvantable. Alain Tanner a stigmatisé la politique de Nicolas Bideau, coupable de "terroriser tout le monde avec cette pression commerciale", dénoncé la "dérive dangereuse" d’un cinéma obnubilé par le succès public.
Et c’est reparti pour un tour d’emballement médiatique. Bideau répond que ce qui l’intéresse, c’est que "les films trouvent un public". Son papa, Jean-Luc, le comédien qui avec Tanner a lancé le nouveau cinéma suisse dans les années 60, traite le cinéaste de "has been". Ça devient beau comme une tragédie grecque!
En fait, c’est l’éternel retour de la querelle des anciens et des modernes. Un premier chapitre s’était écrit il y a un an, en opposant Ivo Kummer, directeur des Journées, attaché à la notion de cinéma d’auteur, à Nicols Bideau, désireux de professionnaliser le cinéma suisse. Combat épique dans les médias, confrontation courtoise de points de vues divergents dans la réalité.
Cette année, le match homérique sent un peu le réchauffé, voire le frelaté, puisque la diatribe tannérienne est le digest d’une conférence donnée par l’auteur de La Salamandre devant des journalistes stagiaires à Lausanne en septembre.
Dans l’absolu, on se rangerait derrière Tanner. C’est vrai, l’argent c’est sale, le commerce c’est vil, et l’art ne doit pas se compromettre avec ces abjections. La réalité du monde et de la production cinématographique mettent un bémol aux élans donquichottesques. On rappellera avec Malraux que le cinéma est un art et une industrie, et mille films hollywoodiens démontrent la faisabilité de ce grand écart. L’époque de Tanner, celle du cinéma engagé et de la critique militante, est (malheureusement) révolue. Le cinéaste genevois a fait des films formidables, déterminant, et mérite notre respect éternel. Et puis il est entré dans le crépuscule. Ses dernières œuvres n’ont convaincu personne, les jeunes réalisateurs ont brûlé ce père encombrant et le cinéaste rumine une amertume compréhensible.
Quant à Nicolas Bideau, il fait son job, avec d’inévitables maladresses, des excès d'enthousiasme, des manières parfois brusques, mais une indéniable énergie. Et découvre, jour après jour, qu’il y a deux façons de se faire détester pour le chef de la section cinéma de l’OFC: en agissant ou en n’agissant pas…
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