Certes, nonobstant la sentence de Dylan selon laquelle "Le patriotisme est le dernier refuge des crapules" ("Patriotism is the last refuge To which a scoundrel clings", Sweetheart Like You), l'une veut accrocher des drapeaux tricolores à chaque fenêtre, l'autre tirer des fusées depuis le pâturage fondateur.
Ces cocoricos, ces "sur nos monts" tombent à plat dans la bouillie globalisante. Le cinéma n'est plus l'expression d'un génie national mais le produit de synergies internationales pour le meilleur (ouverture, échanges de savoir-faire…) et le pire (dilution linguistique, affadissement scénaristiques…). Le festival de Cannes a d'ailleurs renoncé à renseigner sur la nationalité des films qu'il présente, généralement issus de co-productions. Mais les mauvaises habitudes sont difficiles à perdre. Particulièrement du côté de la France – car le festival a lieu sur territoire français, ce qui habilite les médias à se croire les maîtres du monde et, toute vergogne bue, à chanter la geste de la cinématographie nationale.
Les Chansons d'Amour, de Christophe Honoré, a suscité un enthousiasme aussi délirant qu'excessif. Simili comédie musicale, ce Jules et Jim revisité par l'esprit de Jacques Demy nous renvoie aux heures joyeuses de la Nouvelle Vague, il y a plus de quarante ans, avec une touche moderne de Gazon maudit. Un charmant jeune Parisien vit avec deux charmantes filles. La blonde meurt brusquement. Resté seul avec la brune et son chagrin, il finit par se consoler entre les bras d'un lycéen. Le tout agrémenté de chansonnettes sub-gainsbouriennes, quelque part entre la pop de Daho et l'intimisme gnangnan de Delerm.
Catherine Breillat a bâti sa carrière sur le scandale et acquis la notoriété en filmant le pénis de Rocco Siffredi, bravo. Aujourd'hui, elle se tourne vers la littérature et adapte Une Vieille Maîtresse, de Barbey d'Aurevilly. Un jeune libertin rompt une brune torride pour épouser un tendron blond de noble ascendance, puis retombe dans le péché. Le romantisme de 1835 accuse un coup de vieux. D'autant plus que la Breillat s'avère incapable de diriger ses piètres acteurs (l'hystérie d'Asia Argento qui a passé son temps à Cannes à jouer les aguicheuses, tortillant son cul, léchant ses lèvres dès qu'une caméra s'approchait, ne relève pas de l'art dramatique mais de la névrose) et que les quatre scènes de copulation, l'image de marque de la réalisatrice, dégagent un profond ennui.
Cette Vieille Chose semble avoir été fait pour attiser la connivence de la critique parisienne - Les Cahiers du Cinéma se défoncent : "Pourtant ce réalisme se voit régulièrement affecté d'un coefficient d'irréalité onirique…" Lors de la projection cannoise, les spectateurs étrangers ont forcément ricané, ce qui a soulevé l'ire de quelques critiques parisiens ayant fait allégeance à la cinéaste de l'érotisme décomplexé.
Mais voilà. Du revivalisme nouvelle-vague chanté, du romantisme exacerbé, le jury international s'en fout. Pour eux, Paris n'est pas le centre du monde et Alain Delon un has-been fripé. Aux tribulations sentimentales des René de hier et d'aujourd'hui, les jurés préfèrent le réalisme roumain et attribuent la Palme d'or 2007 à 4 mois, 3 semaines et deux jours, de Christian Mungiu.
Et quand ils distinguent des produits made in France, ce ne sont pas les œuvres nombrilistes d'auteurs épris d'eux-mêmes, mais le travail éminemment pictural d'artistes venus d'ailleurs: le peintre new-yorkais Julian Schnabel reçoit le prix du jury pour Le Scaphandre et le Papillon, superbe adaptation du livre de Jean-Dominique Bauby. Et l'excellente Marjane Satrapi, dessinatrice d'origine iranienne, reçoit un Prix du jury pour Persepolis, adapté de sa bande dessinée avec Vincent Paronnaud.
Ainsi tourne la terre, sur un axe qui ne passe pas par le Boulevard Saint-Michel.
Un mot encore sur Canal +. La ci-devant chaîne du cinéma fait honte au 7e art. Disposant de moyens gigantesques, d'un créneau horaire fabuleux (une heure en prime time), d'un plateau magnifique au bord de la mer, Le Grand Journal à Cannes fait de la merde. Autour d'un Michel Denisot, regard éteint et rusé de vieux renard mité, dont la fatuité le dispute à la médiocrité intellectuelle, trois présentateurs d'une sottise magistrale (bon, le troisième, à savoir le publiciste romanceur Beigbeider à vite disparu, parti cultiver sa cirrhose dans les bars adjacents) rivalisent de platitude et de servilité. Une poignée de trublions assermentés viennent sporadiquement grimacer et lancer des serpentins.
Le cinéma est le cadet de leurs soucis. Ces minables sont là pour flatter les stars. Et quelles stars! Outre leurs copains, voire leurs collègues, comiques franchouillards épuisants, acteurs qui passaient par là comme Jean Reno et n'ont rien à dire, on peut citer quelques bimbos et puis, bien sûr, Alain Delon: le trésor national se pavane sur la Croisette, ivre de lui-même, bras levés au-dessus de la tête en signe de victoire personnelle perpétuelle. Mais plus personne ne connaît sa filmographie, à part Le Clan des Siciliens qui passe quatre fois par année à la télévision. Les nanars sont tombés dans un juste oubli, les grands films (Rocco et ses frères, Monsieur Klein, Le Cercle rouge…) sont victimes de l'inculture contemporaine dont Canal 1 est un des agents actifs.
Lécher le cul des invités est le seul but du Grand Journal. La distance critique est abolie. A Asia Argento qui se tortille comme une courtisane exhibitionniste, on dit que son père est un "très très grand cinéaste italien". Mais non, les très très grands cinéastes italiens s'appellent Visconti, Rossellini, Fellini… Dario Argento n'est qu'un faiseur de séries B, fantastique gore et porno soft, réservés aux amateurs de bizarreries.
Un soir, c'était fort rigolo, la fine équipe de Canal + a montré les tatouages qu'elle s'était soit disant faire au cours de la journée. Bon pas Denisot qui l'avait fait sur un endroit précis qu'on ne peut pas montrer à l'écran… Ouarf! Ouarf! Quelle marrade (gageons que sur cet appendice caché il n'y avait pas la place pour écrire Anticonstitutionnellement, d'ailleurs l'animateur n'y tenait pas car ce n'est pas son genre…).
Mais Laurent, le grand benêt à cheveux ras qui se présente comme spécialiste du cinéma, car c'est lui qui tend le micro à Angeline Jolie pour demander si elle est contente d'être là, a baissé son froc pour montrer le tatoo ornant son coccyx. Quel esprit! Vive la France!
Commentaires