"Afin de préserver le plaisir de ceux qui découvriront ce film, je vous serais infiniment reconnaissant de ne pas en dévoiler la fin. Par avance, je vous remercie de votre compréhension" demande Todd Field en exergue du dossier de presse de Little Children.
On la connaît cette vieille dialectique un peu vaine et dont il est permis de rire et de passer outre. Parce que, bien sûr, pour faire simple, on ne va pas donner le nom de l'assassin, ni révéler les prodigieux twist scénaristiques que M. Night Shyamalan imprime à ses œuvres (Sixième Sens, Le Village…). Ces indiscrétions gâcheraient effectivement le plaisir du spectateur innocent.
Mais, premier point, ces avertissements ont-ils une date de péremption? A quel moment le suspense tombe dans le domaine public? Quand sort Troy (2003), le critique a-t-il le droit de dire qu'Achille sort vainqueur du duel qui l'oppose à Hector? Il n'a pas besoin de le dire, tout le monde la sait depuis 2800 ans. Qui a frappé dans Le Mystère de la Chambre jaune? On connaissait la réponse bien avant que Bruno Podalydès adapte de façon inspirée le roman de Gaston Leroux...
A-t-il le droit de dire qu'à la fin du Seigneur des Anneaux, Frodo échoue dans sa quête: à la dernière minute, vaincu par l'anneau, le hobbit n'arrive à le détruire et le garde pour lui. L'intervention in fine de Gollum sauve le monde. Les lecteurs de Tolkien connaissent cette amère conclusion depuis 1954; les spectateurs de 2003 qui n'ont pas lu le livre sont des paresseux ou des analphabètes; ils ne doivent en aucun cas empêcher la critique de faire son boulot en comparant la litote de l'écrivain britannique et la boursouflure du réalisateur néo-zélandais au détriment du second.
Parce qu'enfin, l'ensemble d'une œuvre détermine sa conclusion. Occulter la morale finale, c'est abdiquer. Par ailleurs, révéler la chute d'une histoire ne prévient pas du plaisir qu'on peut tirer à apprécier son déroulement, à sa structure. Et porter un jugement sur la fin d'un récit est un exercice ambigu. Les Chansons d'amour, de Christophe Honoré, se terminent-elles bien? Oui, car le héros guérit du deuil et retrouve l'amour (critique gay). Non, car le garçon qui avait deux filles dans son lit au début n'a plus qu'un garçon à la fin (critique hétéro).
Second point: parfois, la mise en garde s'avère particulièrement grotesque. Exemple: dans Robin des Bois, Prince des Voleurs, tarterie de Kevin Reynolds avec Kevin Costner, prière de ne pas dévoiler le nom du comédien qui vient faire un rapide coucou sur la fin dans le rôle du roi Richard Cœur de Lion (une minute à l'écran). Il n'y avait aucune surprise possible: le seul acteur britannique suffisamment mûr et viril et bankable pour incarner le roi, c'était bien sûr Sean Connery. C'est son absence qu'il aurait fallu taire…
Pour en revenir à Little Children, ce Desperate Housewives sans l'humour, ce mille-feuilles sans crème … Quelle fin faut-il ne pas dévoiler? On a beau chercher, on ne voit pas. Il ne s'agit pas d'un film à suspense, pas d'une enquête policière, il n'y a pas de coup de théâtre renversant, ni de visite surprise (genre Paul Newman en directeur de la garderie…). Quel secret faut-il donc taire? Que la morale triomphe? Qu'il faut mettre un casque pour faire de la planche à roulettes? Que le salaud révèle sa fibre humaine? Ou tout simplement qu'il n'y a rien à dévoiler sauf que l'avertissement initial est juste un teaser rusé…
Sachez que Little Children se finit plutôt bien ou plutôt mal, selon qu'on est un zélateur de la cellule familiale ou un adepte de l'amour fou, et allez voir un film qui en vaut la peine.
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