En ce dimanche matin, nombreux sont les fidèles à avoir courbé la messe pour suivre L’Encerclement – La démocratie dans les rets du néolibéralisme, un cours magistral sur l’économie mondiale, signé de Richard Brouillette. Le dispositif du réalisateur québecois est simple: il filme, en noir et blanc, face à la caméra, des spécialistes de l’économie, journalistes, professeurs, penseurs. A travers leurs réflexions se dessine, fascinante, terrifiante, l’histoire de l’idéologie néolibérale. Comment cette «utopie du plus fort» s’est constituée, comment elle s’est répandue et se répand encore, comment elle crée la richesse d’une minorité en épuisant les ressources de la planète. George Bush père signe un accord commercial avec le Mexique pour pouvoir y délocaliser ses usines; quatorze ans plus tard, son fils fait construire un mur pour empêcher les travailleurs mexicains d'entrer illégalement aux Etats-Unis...
Le régime globalitaire qui s’est mis en place fonctionne à l’esprit de compétition, à l’appât du gain, mais aussi à la paresse intellectuelle et à l’illettrisme galopant. Au gré des témoignages on apprend qu’au Canada, Greenpeace a perdu son statut d’œuvre de bienfaisance, parce qu’en faisant fermer des usines polluantes, l’organisation écologique pousse les gens au chômage. Oncle Bernard rappelle que le commerce international suit toujours la prédation. Et ceux qui prétendent le contraire sont soit des escrocs (il y en a), soit des salauds au sens sartrien du terme (il y en a), soit des incompétents (il y en a aussi)... Norman Baillargeon s’insurge contre le système éducatif vendu à l’industrie: «L’éducation n’est plus qu’un prélude à la vie marchande». On apprend l’écologie aux frais de Mobil, la nutrition avec un géant de l’agro-alimentaire. Bientôt le département d’écologie de l’Université apprendra à polluer.
Omar Aktouf est effaré par une société qui ne forme plus de poètes («Aujourd’hui, Victor Hugo, Socrate, Rimbaud ne seraient pas employables»), de mathématiciens, mais des êtres industrieux, des «technocrates analysants», des «techniciens-producteurs» et un prolétariat illettré (45 % des ouvriers américains sont diplômés, mais ne savent pas lire...). Cela arrange le capital : ils ne vont pas réfléchir, pas se syndicaliser. Mais, rappelle l’économiste, la véritable intelligence, ce n’est pas le «problem solving», mais c’est de savoir formuler les problèmes. Ces bipèdes décérébrés peuvent-ils encore se réclamer du titre d’êtres humains ?
La grande force de l’idéologie néolibérale est de ne pas apparaître comme une idéologie mais comme une chose naturelle. Les médias se font les complices complaisants de cette dialectique que résume une formule d’Alain Minc : «Ce n’est pas la pensée qui est unique, c’est la réalité». Ces «sophismes de l’inéluctable» édifient une dictature du fait accompli. Lorsque l’usine ferme, les ouvrier ânonnent leur leçon : «C’est la loi du marché... On doit être plus compétitifs...». Non sans inquiétude, on se souvient du Meilleur des Mondes, de Huxley, dans lequel il est dit que «64 000 répétitions valent une vérité».
Richard Brouillette interroge des spécialistes intelligents. Il va aussi voir quelques défenseurs du néolibéralisme pur et dur. Ceux-ci ont hésité à se prêter au jeu, craignant d’être ridiculisés dans un film gauchiste. Mais il n’y a pas besoin de souligner leurs propos de rires préenregistrés pour s’esclaffer. L’un estime que le capitalisme a éliminé la plupart des pollutions antérieures à l’ère industrielle....Un autre s’insurge que l’Etat lui vole la moitié de son salaire pour le redistribuer à des oisifs, des parasites. «On récompense la pauvreté et plus on la subventionne plus il ya de pauvres. Parce qu’on y prend goût à la pauvreté...». Une idée pour lutter contre la pauvreté ? Privatiser les rivières (sic). Les industriels seraient obligés de s’acquitter de taxes pollutions auprès des propriétaires ou d’améliorer leurs systèmes de production...
Les entretiens ont principalement été réalisés entre 2000 et 2002. Depuis, le monde a changé, l’économie s’est ramassé un méchant billet de parterre. Il est temps de commencer à espérer l’avènement d’un monde moins matérialiste...
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