En 1348, la peste noire ravage l’Angleterre. Un jeune moine
sert de guide à une troupe de coupe-jarrets, qui a pour mission de trouver au
fond de la verte et plaisante Albion le nécromancien responsable du fléau. A la
tête de cette bande de forbans, on trouve Ulric, incarné par Sean Bean et on
pense à ce que Boromir aurait pu devenir s’il avait succombé à la tentation de
l’Anneau unique. Un autre de ces tristes rires, moue hautaine et cheveux
filasses, évoque l’inoubliable Aguirre, le conquistador à la triste figure dont
Werner Herzog filma la geste maudite en 1972.
Après avoir sauvé une femme du bûcher pour mieux l’égorger, après avoir massacré des bandits de grand chemin, cette version sinistre de L’armata Brancaleone, les bracaillons que Monicelli lançait en 1966 à travers un Moyen-Âge pittoresque, débarque dans un paisible village que la peste a épargné. Là vivent des artisans, apothicaires ou vanniers, qui ne portent pas d’armures mais des habits de lin. Ils ont pour cheffe une blonde druidesse, Langiva, car, contrairement aux soldats de Dieu que mène Ulric, la petite communauté rurale est païenne.
Avant 1968, les chrétiens apportaient lumière et réconfort aux païens, d’Afrique ou d’Amérique. Puis la tendance s’est inversée: les indiens animistes ont enseigné la tolérance aux ouailles d’un Dieu coléreux que motivaient l’appât du gain. Black Death, de Christophe Smith (UK), brouille les cartes. Il n’y a plus de bons et de méchants, que des salauds. La férocité des chrétiens n’a rien à envier à la cruauté des païens, chacun rivalise de barbarie et il n’est pas sûr que dieu reconnaise les Siens... Ulric et sa troupe sont drogués, contraints à abjurer le Dieu unique, crucifiés, écartelés, éviscérés... La blonde Langiva est une diablesse manipulatrice. Lorsque l’unique survivant de la mission ramène le petit moine au couvent, il le bénit d’une formule: «Dieu est avec lui !». Effectivement: son coeur juvénile est plein de haine et il passera le restant de ses jours à brûler des femmes...
Le thème de la foi est central dans le saisissant Valhalla Rising, de Nicolas Winding Refn
(Danemark). Autour de l’an Mil, un clan Viking possède un esclave d’une force
supérieure qu’ils engagent dans des combats. Ce guerrier borgne (comme Einar,
interprété par Kirk Douglas dans Les
Vikings) et muet s’avère une véritable machine à tuer. D’où vient-il, ce
One-Eye implacable (incarné par un Mads Mikkelsen monolithique et terriblement
inquiétant)? De l’enfer, prétendent certains.... Le monstre s’échappe et,
accompagné par un petit garçon qui traduit ses pensées, rejoint une bande de
Vikings juste convertis qui font route vers Jérusalem- son Tombeau du Christ,
ses terres, ses richesses...
Leur drakkar se perd dans le brouillard (tiens? comme la barque d’Astérix et Obélix dans La grande traversée, amusant parallèle). Lorsque la brume se dissipe, ils sont de l’autre côté de l’océan – dans la Jérusalem céleste? Une terre vierge, belle comme le matin du monde, mais mortifère, puisqu’ils commencent par trouver un cimetière. Ils prennent conscience de leur déréliction: «J’ai fait une fois un rêve comme ça, il y a longtemps, dit le chef de la bande. Je ne retrouvais plus le chemin de la maison. Alors j’ai compris que j’étais mort....»
Des flèches jaillissent de nulle part et les clouent au mât tandis qu’ils remontent un fleuve impassible. Ils alternent l’épreuve de la souille et l’ablution purificatrice. L’espérance les abandonne. Le film qui commence dans un registre plutôt gore atteint une dimension mystique qu’expriment des images vibrant d’une lumière surnaturelle et une bande son splendide. Et One-Eye l’invaincu, le démon qui voit l’avenir de marcher au sacrifice, de poser les armes pour s’offrir au tomahawk des indigènes.
En envoyant une troupe de Chrétiens violents et cupides se perdre sur les rivières de la jeune Amérique, Valhalla Rising renvoie forcément à Aguirre la Colère de Dieu (encore...). Ce psaume célébrant la nature grandiose et terrible évoque aussi The New World de Terence Malick – sans oublier Apocalypse Now, puisque l’horreur, l’horreur attend forcément ceux qui remontent les cours d’eau...
Pourquoi un film comme Valhalla Rising n’est-il pas exploité en salles en Suisse? Pourquoi faut-il subir des daubes indicibles (L’Age de Raison, avec Sophie Marceau, par exemple) quand des poèmes métaphysiques restent inédits? Remercions le NIFFF de nous les donner à voir sur grand écran.